Ça cogite – Le jeu vidéo, plus qu’un simple divertissement : un outil pour apprendre l’inclusion autrement ?

Point de vue d’expert·e

Nous laissons la parole à Mickael Dell’ova pour reccueillir son point de vue autour des représentations LGBTQIA+ dans le jeu vidéo et l’éducation.

Une industrie de masse, des enjeux de représentation majeurs

Le jeu vidéo est aujourd’hui la première industrie culturelle au monde. Selon le dernier rapport du SELL (Syndicat des Éditeurs de Logiciels de Loisirs), 66 % des adultes jouent aux jeux vidéo. Un chiffre qui grimpe à 95 % chez les 10–17 ans, et 93 % chez les 15–24 ans. Ce média façonne profondément les imaginaires, notamment ceux des jeunes. Il influence la manière dont ils et elles perçoivent le monde, les autres, et eux-mêmes.

Et pourtant, les questions de diversité, d’égalité et d’inclusion sont encore loin d’être centrales dans sa production. Si le jeu vidéo a un tel pouvoir d’influence, pourquoi ne pas en faire un levier éducatif pour l’inclusion ?

Un outil pédagogique puissant, encore sous-exploité

71 % des joueur·euses en France estiment que le jeu vidéo permet de développer des compétences ou savoir-faire selon le dernier rapport du SELL. Ce constat ouvre la voie à un usage pédagogique plus large. Le rapport « Video Games in European Schools » révèle que 36 % des enseignant·es utilisent déjà les jeux vidéo en classe, et 42 % estiment qu’ils sont particulièrement bénéfiques pour les élèves en difficulté.

Des associations comme Pixel Impact, des studios comme PlayBac Éditions, ou des collectifs comme Games for Change développent des jeux qui font réfléchir, débattre, apprendre autrement. Ces expériences démontrent que le jeu vidéo peut sortir des sentiers battus pour transmettre des messages forts, en particulier aux jeunes, qui en sont les premier·ères usager·ères.

Un média immersif, moteur d’empathie et de réflexion

L’immersion propre au jeu vidéo offre une opportunité unique : celle d’incarner un personnage, de vivre ses émotions, ses choix, ses dilemmes. Les travaux de Dominic Arsenault et Marc Picard (2012), dans la revue Adolescence, montrent que l’identification au personnage favorise l’introspection et l’ouverture à l’autre : « l’incarnation vidéoludique permet un déplacement de soi, propice à la compréhension des émotions d’autrui ».

Des jeux comme Life Is Strange (Dontnod, 2015), Sea of Solitude (Jo-Mei Games, 2019) ou Kind Words (Popcannibal, 2019) le prouvent. Ces œuvres proposent une expérience sensible qui fait appel à la compassion, à l’écoute et à l’éveil d’une conscience critique. Le jeu vidéo ne se contente pas de raconter, il fait vivre. Et c’est précisément ce vécu émotionnel qui peut éveiller la conscience et l’empathie.

Diversité et inclusion : où en est l’industrie ?

En France, 48 % des joueur·euses sont des femmes, mais la pratique régulière est encore majoritairement masculine (53 %, Statista, 2023). Pourtant, les représentations restent déséquilibrées. Les femmes sont souvent hypersexualisées, les personnages LGBTQIA+ stéréotypés, et les personnes en situation de handicap invisibilisées. Même les espaces dits inclusifs sont majoritairement dirigés par des hommes blancs, valides, cisgenres et hétérosexuels (Légothèque ABF, 2012). Les rapports de pouvoir sont rarement remis en cause. Représenter la diversité n’est pas un acte militant optionnel : c’est une nécessité culturelle.

Pour aller plus loin sur ce sujet, quelques ressources :

Créer avec éthique : une responsabilité individuelle et collective

Chaque choix de design ou de narration influence les représentations. Être game designer aujourd’hui, c’est accepter cette responsabilité. C’est se demander :

  • À qui s’adresse mon jeu ?
  • Quelles valeurs véhicule-t-il ?
  • Est-ce que mes mécaniques renforcent des biais ?
  • Est-ce que mes systèmes de jeu sont inclusifs ?

Créer éthique ne bride pas la créativité. Cela lui donne du sens. Dans mes cours, j’accompagne les étudiant·es avec des outils comme :

  • Le Golden Circle de Simon Sinek (2009) : il permet de partir de la raison d’être d’un projet (Why), pour ensuite penser son fonctionnement (How) et enfin son produit (What).
  • Mon propre modèle de classification des joueur·euses et des jeux, présenté au Game UX Summit (2023) : cette méthode met en lumière les motivations sociales, sensorielles, narratives ou symboliques des publics, pour concevoir des expériences qui sortent du carcan performance/compétition.
  • Le modèle des Player Motivations de Quantic Foundry (2016) : basé sur plus de 400 000 profils de joueur·euses, il identifie les leviers d’engagement variés, au-delà du stéréotype du “gamer compétitif”.

Concevoir autrement : The Others, un manifeste en création

Avec The Others, mon prochain jeu en développement, je veux expérimenter un processus de conception inclusif. Ce jeu narratif ne proposera pas un héros ou une héroïne unique, mais plusieurs perspectives croisées, souvent inconfortables, toujours humaines.

Mon ambition : co-créer les récits avec des personnes concernées (en situation de handicap, neuroatypiques, marginalisées), pour représenter les vécus avec justesse, sans caricature ni récupération. Ce sera un thriller psychologique, mais aussi une expérience introspective. Pas de score, pas de combat, mais des choix moraux, du doute, et surtout, de l’écoute.

L’objectif est clair : faire de ce jeu une œuvre qui bouscule les habitudes, interroge les stéréotypes et ouvre un dialogue.

Pour en savoir plus ou soutenir le projet : www.ethicallgames.com/theothers

Un média à potentiel éducatif, à condition de le penser autrement

Le jeu vidéo n’est plus un simple loisir. C’est un média puissant, un outil de narration et d’influence culturelle, sociale, éducative. Il peut façonner des regards, transmettre des valeurs, ouvrir des débats. Il peut faire rire, faire pleurer, et faire réfléchir.

Mais cela ne se fera pas sans une prise de conscience collective. Des studios aux écoles, des créateur·rices aux joueur·euses, des parents aux institutions, nous avons toutes et tous un rôle à jouer.

Il est temps d’accepter que créer un jeu vidéo, c’est aussi prendre position. Et qu’apprendre à jouer, c’est aussi apprendre à penser.

Alors, engage-toi.
Joue autrement.
Crée autrement.
Pense autrement.

Et n’oublie jamais : un jeu peut changer une vie.

Article rédigé par Mickaël DELL’OVA – Game designer, enseignant et fondateur du studio Ethicall Games

« Je crée des jeux vidéo narratifs, accessibles et porteurs de sens. J’enseigne également le game design avec un focus sur les enjeux éthiques, sociaux et inclusifs du média vidéoludique »

Témoignages

Ed For Good est allé à la rencontre des membres de son réseau pour discuter des questions de représentation LGBTIQ en formation.

Caroline Dayer – Déléguée cantonale aux questions d’homophobie et de transphobie dans les lieux de formation – Etat de Vaud & Experte en prévention et traitement des violences et des discriminations

Ce qu’on retient du vocal :

  • Les jeunes LGBTIQ connaissent plus de facteurs de risques (violences et discriminations et moins de facteurs de protection (famille, école, ami·e·s)
  • Le coming-in est un processus de formulation à soi-même ; et le coming-out est le fait d’exprimer qui on est à autrui. La prise de conscience de soi-même est un préalable.
  • 2 questions pour ces jeunes LGBTIQ : A qui parler ? A qui s’identifier ?
  • Les violences tuent. La prévention et la réaction face aux violences sont nécessaires.
  • Le silence tue aussi.
  • La re-connaissance : à la fois reconnaissance sociale et légale de ces existences, et fait de se fonder sur des savoirs.
  • Point de vigilance sur la terminologie : adopter le sigle LGBTIQ, avec l’importance de la notion plurielle de “queer”
  • Visibiliser, c’est faire exister..

Aller plus loin

Sur l’inclusion dans le jeu vidéo :

Sur les questions LGBTIQ :

  • « Le Silence tue : face aux violences : comment (ré)agir ? » par Caroline Dayer, en 2025 [livre]
  • « Sous les pavés, le genre  ; suivi de Le pouvoir de l’injure » par Caroline Dayer, en 2025 [livre]

Est-ce que je peux réutiliser cet article ?

Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage dans les Mêmes Conditions

Cela signifie, que tu es autorisé·e à partager ce article par tous les moyens et sous tout formats, à condition de créditer Ed For Good et l’auteur·rice, indiquer si des modifications ont été effectuées en intégrant un lien vers la licence (sans toutefois suggérer qu’Ed For Good, l’auteur·rice ou les interviewé·e·s te soutiennent), et ne pas en faire un usage commercial.